Ceux du Radeau
Claude Almodovar Le mendiant Rilke aurait pu dire de lui : « Il a touché la terre de ses mains »… Et puis Rilke, c’est bien pour parler de lui. Lui, le bouillon de brun, de mat, de sombre. Almodovar, c’est la lumière au noir. Au soir aussi… Avec un sang aussi foncé que ses origines qu’on croit aussi juive qu’arabe ; frelatées à l’espagnol, détrempées de Méditerranée. Alors un homme comme ça – qui ne pouvait finir (ou commencer !) qu’à Marseille -, c’est plutôt bien de lui trouver un Allemand pour le saisir. À coup sûr, un tel parrainage ne peut que lui plaire. Lui qui avec sa gueule un peu trop grande et ses yeux qui vous regardent par le dessous avec l’air insistant d’accrocher un rai de soleil, a la belle allure du mendiant. Mendiant de lumière. Illuminé du désespoir des autres, comme pour mieux s’en imprégner ou simplement éclairé par l’ordinaire qui est toujours à défigurer. Chez Almodovar, ce qui frappe, c’est une humilité un peu chancelante. Comme s’il fallait sans cesse se baisser pour toucher la terre… et cueillir l’œuvre. Il marche comme il photographie. Un poil courbé, pour être sûr que la lumière passe. Et si tout cela n’était qu’un métier ? Almodovar ne pense pas pour répondre. Il se trimballe, là et surtout ici, la main toujours chargée, à l’affût de l’âme et de ses couleurs. Sait-il seulement ce qu’il fait ? Pas sûr, Almodovar est un mendiant. C’est à l’autre de lui dire et lui redire. On puise dans son bouillon la saveur qui va nous révéler. On s’attable avec Almodovar et l’on boit. Jusqu’à la cuite, s’il le faut. Et qui sait ce qu’il va nous dire, à son tour ? Un regard ou un miroir… Un verbe ou le verset qu’on cherchait. Almodovar mendie l’image. Pour qu’elle nous donne le texte, à la lettre de nos désirs. Le reste, il ne sait pas. On ne donne pas à ce mendiant. C’est lui qui nous prend ce qu’il nous rendra. Et toujours cette lumière. Va Claude, la terre est à tes pieds ! François Lachaud, mars 1999.